La métamorphose des Grands-Mères

August 05, 2016  •  Laisser un commentaire

Par Annie Robert, Photos : Thierry Dubuc

Chroniques Marciennes  # 7
Marciac 5 Août  2016

La métamorphose des Grand-Mères…

Kyle Eastwood Quintet  /  Avishai Cohen Trio

Que savons-nous de la contrebasse ? Instrument imposant de fond de scène, timide malgré ses larges formes, en charge du rythme avec son alter ego la batterie, elle fait partie de ceux qui se sacrifient dans la joie, dont on remarque l’absence mais pas toujours la présence. Une discrète qui se laisse ignorer…
Ce soir pourtant, les Grands-Mères comme on les surnomme, sont à l’honneur et ce sont deux contrebassistes leaders de groupe qui vont se succéder sur la scène d’un chapiteau bourré à craquer et nous en faire découvrir des possibilités roboratives.
Kyle Eastwood  et son quintet d’abord dans lequel il alternera contrebasse et basse électrique. Il est ce soir accompagné de ses quatre mousquetaires: Andrew McCormack,au piano agile et fougueux, Quentin Collins à la trompette claire et déliée, Brandon Allen qui sait chercher la note qui fait mal au saxophone  et Chris Higginbottom, à la batterie pour un soutien que l’on pourrait souhaiter par instant plus léger. 

En trio, en duo ou au complet, alternant standards aimés, compositions personnelles ou musiques de film revisitées, le set se présente comme autant de petites fenêtres ouvertes sur le monde du jazz. Les atmosphères sont diverses et colorées : hommage au groove d’Horace Silver, sons des jazz clubs des années 50, latin jazz. Le schéma est classique et le style également. La prise de risque est, on peut le regretter, minime mais la sincérité et la fougue toujours présentes emportent l’adhésion. «  Marrakech » morceau dans lequel Kyle Eastwood propose un moment d’atmosphère personnel et intime où la contrebasse se fait oud, est peut-être la voie qu’il lui faudra se résoudre à explorer.

Stefano  Di Battista rejoint le groupe au milieu du set et y glisse avec facilité ses improvisations lyriques et construites et un son ample d’une grave beauté, qu’il soit au soprano ou au ténor. Un doux moment de grâce avec le thème de « Cinema paradisio » d’Ennio Morricone suspend la salle, une fin tonitruante des soufflants dans un groove échevelé et un morceau dédié à Marciac réjouissent les spectateurs et on se quitte après deux rappels enlevés.
Grand-mère a commencé sa cure de jouvence dans la joie et la belle ouvrage.

Et ce n’est pas fini… Elle va sacrément prendre un coup de jeunesse la grand-mère, avec l’arrivée du Avishai Cohen Trio !!
La contrebasse va changer d’âme. Elle percute, frappe du bois et  de l’archet, se pavane ou se plaint. Elle va devenir une jeune fille au balcon, une adolescente qui danse sur les braises ou sur la lande, une compagne des oiseaux du Sud. La demoiselle parée de ses atours se prépare au voyage ou à la noce, elle relève ses jupons pour sauter les ruisseaux. Elle est gaie et unique.
Le trio impulse des ruptures de couleur et d’intensité permanentes, une structure solide et toute en finesse des compos. La contrebasse prend souvent le chant (et le champ également !) et le piano se résout au soutien. La recherche mélodique est constante. Les trois musiciens dont la complicité, la complémentarité sautent aux oreilles, se passent le thème, se le volent, se le tordent et se le reprennent.

Omri Mor au piano est bluffant de qualité et  Noam David à la batterie, souple, sans esbroufe mais puissant. Quant à Avishai Cohen, il  va chercher dans le tréfonds de son « amoureuse »  du bois frappé, des cordes d’attaches, des glissés et des slaps. Du rarement vu et de l’émotion au bout des doigts.
Avec des accents andalous ou yddishs, la contrebasse se fait lyre ou sitar et on plonge dans le folklore sans jamais lâcher le groove.
Les appuis entre le trio sont permanents, on ne sait pas qui suit l’autre et qui le précède, dans des échanges qui sont la marque d’un vrai travail de groupe et qui nous propulsent haut.

Grande-mère nous enlace et nous redevenons petits-enfants pour un « Child is born »   plein de câlins et de sommeils embrumés. Elle nous entraîne sur les rivages de la Méditerranée et nous redevenons auditeurs de contes enfuis.
Le chapiteau laisse éclater sa joie et sa reconnaissance pour un tel moment que l’on sent unique.
Un premier rappel avec des solos de folie .Un deuxième  rappel qui resserre encore l’émotion lorsqu’Avishai Cohen se met à chanter en espagnol « Alfonsina vestida de mar » une chanson de son enfance, de celles qu’on se fredonne pour bercer les chagrins ou accueillir le marchand de sable. Les yeux commencent à piquer et la fatigue n’y est pour rien.
La salle ne veut pas lâcher, pas question que le groupe s’en aille déjà. On s’incline sur un « besame mucho » réinventé. Un quatrième rappel suivra pour une salsa pleine d’allant et de contre-pieds. Encore, encore…
Au cinquième rappel, les yeux piquent définitivement lorsqu’il entonne seul avec sa contrebasse un «  Sometimes I feel like a motherless child » en un puissant et mélancolique cadeau d’adieu…

Ce soir, Grand-Mère  a chaussé ses ballerines, enfilé son habit de fête et s’en est allée  au bal comme une princesse des mille et une nuits, une fée des  bois.
Une métamorphose inoubliable.

 


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